« Même si la durée de vie moyenne a considérablement augmenté ces dernières décennies [en France], l’espérance de vie en bonne santé ne dépasse pas 64 ans[1]. »
– Christophe de Jaeger, médecin français spécialisé dans le vieillissement.
« Pas un ne se demande s’il vit bien, mais s’il aura longtemps à vivre. Cependant tout le monde est maître de bien vivre ; nul, de vivre longtemps. »
« Méditer la mort, c’est méditer la liberté ; celui qui sait mourir, ne sait plus être esclave. »
– Sénèque, philosophe stoïcien.
J’ai traduit ci-après quelques extraits d’une revue de la littérature scientifique sur la santé des populations vivant au sein de sociétés traditionnelles de chasseurs-cueilleurs et de paysans, un papier intitulé « Hunter-gatherers as models in public health » (« Chasseurs-cueilleurs, des modèles pour les politiques de santé publique ») publié dans Obesity Reviews en 2018[2]. On y apprend que les membres des sociétés rurales de taille modeste sont dans leur majorité en excellente forme physique et vivent jusqu’à des âges comparables aux membres des sociétés centralisées administrées par une bureaucratie étatique, fortement urbanisées et industrialisées. Les auteurs de l’étude révèlent trois autres informations intéressantes. D’abord, la bonne santé des membres des sociétés traditionnelles s’explique avant tout par leur environnement écologique et social, moins par la génétique. Ensuite, l’engouement récent autour du « régime paléo » repose sur des données inexactes qui ont largement exagéré la consommation de viande des peuples autochtones et minimisé leurs apports en glucides. Pour finir, malgré un niveau d’activité physique largement supérieur, la dépense énergétique totale chez les membres des sociétés traditionnelles équivaut à celle des populations industrialisées bien plus sédentaires. En d’autres termes, la dépense énergétique n’est pas corrélée au niveau d’activité physique, ce qui tend à montrer qu’un organisme vivant se différencie fondamentalement de la machine dans son fonctionnement.
Les sociétés industrielles dites « modernes » et « développées » sont généralement dotées de systèmes de santé extrêmement polluants et gourmands en ressources matérielles et énergétiques. Il est par exemple bien établi que le système de santé moderne – comme l’ensemble du système industriel sur lequel il repose – dépend en grande partie de l’extraction et de la combustion de pétrole, que ce soit pour le transport des personnes, des marchandises ou la fabrication des médicaments – « environ 3 % de la production pétrolière est utilisée pour la fabrication de produits pharmaceutiques, mais près de 99 % des matières premières et des réactifs pharmaceutiques proviennent de la pétrochimie[3] » (voir aussi ce texte publié par le blog Resilience[4]). Toutefois, l’abandon du pétrole ne changera rien aux fondamentaux destructeurs du système techno-industriel. Donnons quelques exemples pour le système de santé. Il faut 3 000 tonnes de sable pour construire un bâtiment de la taille d’un hôpital[5] (l’extraction de sable et de graviers atteint entre 40 et 50 milliards de tonnes par an, un désastre social et environnemental selon l’ONU[6]). La plupart des gens ignorent également l’existence du zircon[7], un minéral lourd utilisé dans la fabrication des implants et des prothèses pour la médecine moderne, ainsi que pour le matériel médical (ultrasons, imagerie médicale, appareillage auditif, implants dentaires, etc.). Son extraction dans des pays éloignés – Afrique du Sud, Australie, Mozambique et Sénégal – ravage les littoraux et chasse des habitants de leurs terres ancestrales. Autre matière indispensable à l’industrie médicale (outils, prothèses, médicaments, etc.) dont l’extraction dévaste des régions entières : le titane. On pourrait en outre évoquer la pollution aux antibiotiques qui contamine la plupart des rivières du globe[8], ou encore l’histoire de l’industrie pharmaceutique. C’est à l’industriel Bayer que l’on doit la synthétisation de l’héroïne, produit vendu librement en pharmacie au début du XXe siècle pour soigner l’asthme, la diarrhée et recommandé comme somnifère pour les enfants[9]. Les mafias du monde entier remercient encore le laboratoire Merck pour avoir largement contribué à l’essor international de la cocaïne[10]. On pourrait continuer ainsi et noircir des pages entières. Les systèmes de santé modernes sont un désastre socioécologique planétaire, et ça ne date pas d’hier.
Alors certes, la médecine moderne a permis de réduire considérablement la mortalité infantile et d’augmenter artificiellement la durée de vie des personnes âgées en les gavant de pilules (et accessoirement en les entassant comme du bétail dans des mouroirs). La question à se poser est la suivante : le coût humain et écologique mondial de cette augmentation purement quantitative – plus d’enfants et plus de vieux qui (sur)vivent plus longtemps dans des conditions se dégradant rapidement (stress[11], dépressions[12] et suicides chez les enfants[13] prolifèrent en Occident) – peut-il justifier le maintien du système de santé moderne ? Moralement, c’est parfaitement indéfendable, d’autant que nous savons désormais que la médecine moderne n’est en rien indispensable pour mener une vie à la fois longue et bonne.
Comme promis, ci-dessous les extraits traduits du papier d’Obesity Review.
Introduction
« La vie était meilleure autrefois » apparaît comme une idée fondatrice et récurrente de la pensée occidentale. Les récits des origines, du jardin d’Eden perdu de la Genèse à l’âge d’or de la Grèce antique, décrivent un passé utopique où les humains vivaient en harmonie avec la nature, étaient en bonne santé et bien nourris. Les méditations de Rousseau sur les origines de l’être humain, le Noble Sauvage de la philosophie des Lumières et les descriptions nostalgiques des premières communautés agricoles faites par Marx et Engels se rejoignent toutes – elles brossent le tableau d’une vie idyllique autrefois saine corrompue par le progrès et l’industrialisation.
Forte d’une base de données de fossiles et de travaux ethnographiques toujours plus riches sur l’évolution et la diversité de l’homme, l’anthropologie évolutionniste nous a permis au cours des 150 dernières années de dépasser la simple spéculation. Nous pouvons aujourd’hui baser notre compréhension du passé de notre espèce sur des faits. Les preuves génétiques et fossiles montrent qu’il y a environ 6 à 8 millions d’années, la lignée des homininés a divergé de notre lignée sœur, Pan (chimpanzés et bonobos). Diverse et riche, la lignée des homininés compte des dizaines d’espèces attestées par les archives fossiles, des espèces qui ont souvent vécu simultanément. Mise à part la nôtre, toutes sont aujourd’hui éteintes. Il y a environ deux millions d’années, nous assistons aux prémices d’une série de développements qui marquent l’émergence de notre genre Homo : augmentation de la taille du cerveau et du corps, outils en pierre, proportion croissante de viande dans le régime alimentaire, et expansion à travers l’Afrique et l’Eurasie dans un large éventail de zones écologiques. La dépendance à l’égard d’un assemblage d’aliments provenant d’animaux et de végétaux sauvages (non domestiqués) définit le mode de vie des chasseurs-cueilleurs et contribue à expliquer la série de changements adaptatifs qui ont marqué l’émergence de notre genre. Notre espèce, Homo sapiens, est apparue en Afrique il y a environ 300 000 ans ; c’est l’une des nombreuses espèces du genre chasseur-cueilleur.
Parallèlement à une meilleure compréhension de l’évolution de notre espèce, l’essor de l’épidémiologie au cours du XXe siècle a permis aux politiques de santé publique de s’appuyer sur notre histoire de chasseurs-cueilleurs pour expliquer l’augmentation des maladies non transmissibles (diabète, obésité, cancer et maladies cardiaques) dans le monde développé. Dans les années 1980 et 1990, ce travail s’est élargi pour se concentrer sur les « maladies de civilisation » dans le cadre d’un domaine plus vaste, la médecine évolutionniste. En matière de santé publique, il est aujourd’hui largement établi que les environnements modernes et industrialisés se différencient radicalement de ceux dans lesquels l’homme a évolué, et que ces changements récents entraînent des maladies. Par exemple, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) affirme que l’obésité est causée en partie par « une augmentation de l’inactivité physique due à la nature de plus en plus sédentaire de nombreuses formes de travail, à l’évolution des modes de transport et à l’urbanisation croissante. »
Il ne fait guère de doute qu’une perspective évolutionniste s’avère importante pour comprendre et atténuer les maladies. Toutefois, cette perspective n’est valable que dans la mesure où nous comprenons l’histoire. Sans un compte rendu précis des régimes alimentaires, des niveaux d’activité, des profils pathologiques et d’autres caractéristiques pertinentes du passé, nous risquons de tirer des conclusions erronées en voulant diagnostiquer les causes profondes et évolutives des « maladies de civilisation ». Il est à noter qu’une grande partie des travaux fondateurs dans ce domaine ont été réalisés sans mesures quantitatives détaillées du régime alimentaire, de l’activité ou de l’énergétique chez les populations vivantes de chasseurs-cueilleurs ou d’agriculteurs de subsistance ; un manque de données encore plus prégnant pour le passé lointain. Pouvons-nous être sûrs que les conceptions du passé employées en santé publique ne sont pas des caricatures romancées d’un Eden perdu ?
Le travail de terrain effectué auprès de sociétés de petite taille au cours des dernières décennies, ainsi que les récentes découvertes de fossiles, ont considérablement amélioré la compréhension de notre évolution commune. Nous passons ici en revue ces études, en nous concentrant sur la santé, l’activité physique, la dépense énergétique et l’alimentation. Pour compléter les données publiées, nous nous appuyons sur des mesures inédites issues de notre travail avec les Hadza, une population de chasseurs-cueilleurs du nord de la Tanzanie.
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Les protocoles ont été approuvés par les universités américaines (Yale University, University Arizona, Washington University St. Louis et Hunter College) et les institutions tanzaniennes (National Institute of Medical Research, Commission for Science and Technology et gouvernements locaux) avant la collecte des données.
Durée de vie
En raison principalement de la mortalité infantile élevée due aux maladies infectieuses, l’espérance de vie à la naissance des populations de chasseurs-cueilleurs est plus faible (généralement entre 30 et 40 ans) que celle des pays développés aujourd’hui. Une mauvaise interprétation de cette observation consiste à supposer que peu de chasseurs-cueilleurs (aujourd’hui ou dans le passé) vivent jusqu’à un âge avancé. Si cela était vrai, la quasi-absence de maladies chroniques dans les populations de petite échelle pourrait simplement s’expliquer par le fait que les adultes ne vivent pas assez longtemps pour en développer. Mais si les populations de taille modeste affichaient des durées de vie faibles, elles ne représenteraient aucun intérêt en matière de santé publique.
En réalité, les analyses démographiques des sociétés traditionnelles montrent que le taux de survie des adultes est à peu près similaire à celui des sociétés modernes et industrialisées. Les adultes vivent régulièrement jusqu’à 60 et 70 ans, voire plus. Dans un examen des données sur la mortalité des chasseurs-cueilleurs et des agriculteurs de subsistance dans douze populations, Gurven et Kaplan soulignent qu’environ 60% des nouveau-nés de ces populations survivent jusqu’à l’âge de 15 ans et 40% jusqu’à 45 ans. Ceux qui survivent jusqu’à 45 ans peuvent espérer vivre encore une vingtaine d’années. En effet, l’âge modal au décès [âge pour lequel les décès sont les plus nombreux, NdT] pour les populations de chasseurs-cueilleurs examinées par Gurven et Kaplan est d’environ 72 ans (fourchette : 68-78 ans), ce qui est proche de la valeur pour la population états-unienne (85 ans) en 2002. Néanmoins, dans les nations plus riches, les progrès de l’hygiène, du régime alimentaire et des soins de santé au cours des cent dernières années ont ajouté plusieurs décennies à l’espérance de vie à la naissance par rapport à celle observée chez les chasseurs-cueilleurs [ce qui a presque certainement contribué, avec autres facteurs, à faire exploser la population mondiale en créant un immense déséquilibre entre naissances et décès, NdT].
Le vieillissement observé chez les populations de chasseurs-cueilleurs contemporains n’est pas un phénomène récent. L’analyse des preuves fossiles suggère que la proportion d’adultes dépassant les 40 ans reste stable depuis le Paléolithique supérieur au moins, soit il y a environ 50 000 ans. La comparaison des courbes de mortalité avec celles des chimpanzés indique que l’évolution a favorisé le vieillissement chez les humains. Néanmoins, dans des contextes écologiques favorables, avec une prédation réduite et une disponibilité alimentaire accrue, l’espérance de vie des chimpanzés à la naissance peut approcher celle des chasseurs-cueilleurs humains. On suppose que les taux élevés de survie (jusqu’à 60, 70 ans et plus) sont une caractéristique de l’histoire humaine résultant de l’évolution – la sélection naturelle a privilégié le vieillissement pour permettre aux grands-parents de s’occuper de leurs petits-enfants. Les grands-parents fournissent de la nourriture et des soins aux enfants, soulageant ainsi les mères d’une partie du temps et de l’énergie qui autrement reposerait sur leurs seules épaules. Chez les chasseurs-cueilleurs et dans d’autres sociétés non étatiques, la présence des grands-parents – en particulier des grands-mères – améliore la croissance et la survie des petits-enfants.
Cause des décès
La cause des décès est notoirement difficile à déterminer pour les chasseurs-cueilleurs et les autres populations qui n’ont pas un accès régulier à des hôpitaux et des médecins spécialistes. Les principales causes de décès dans les populations de petite taille sont les infections aiguës. Selon Gurven et Kaplan, environ 70 % des décès sont dus à des maladies aiguës (principalement des maladies infectieuses et gastro-intestinales) et environ 20 % à des traumatismes, notamment des accidents et des violences. Ces ratios sont assez constants tout au long de la vie, bien que le taux de mortalité pris pour l’ensemble des causes soit le plus élevé chez les jeunes enfants. Le pourcentage de décès dus aux maladies chroniques non transmissibles, affections courantes dans les pays développés (par exemple, les maladies cardiaques, les maladies métaboliques et les cancers), est très faible dans les populations de chasseurs-cueilleurs et de fermiers de subsistance (< 10 % des décès), et ce même pour les individus de plus de 60 ans.
Obésité et maladies métaboliques
Comme on pouvait s’y attendre pour des populations ayant des niveaux élevés d’activité physique et un accès limité à des aliments transformés et hautement caloriques, l’obésité et les maladies métaboliques sont rares chez les chasseurs-cueilleurs et les agriculteurs de subsistance.
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Le diabète non insulinodépendant (type 2) est si rare parmi les populations de petite taille qu’il est difficile de trouver des rapports sur sa prévalence dans ces groupes.
Maladies cardiovasculaires
Les chasseurs-cueilleurs et les populations pratiquant l’agriculture de subsistance se distinguent par leur remarquable santé cardiovasculaire. Les maladies cardiaques et vasculaires représentent une proportion négligeable des décès dans ces populations, même chez les adultes de plus de 60 ans. La différence entre les populations de petite taille et les populations industrialisées est plus marquée aux âges élevés. Plus de 60 % des adultes états-uniens de plus de 60 ans souffrent d’hypertension, alors que moins de 30 % des chasseurs-cueilleurs et des agriculteurs de subsistance de plus de 60 ans présentent une hypertension (même légère). L’aptitude cardiorespiratoire est également très élevée dans les sociétés traditionnelles.
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L’étude des Tsimane, une population vivant dans la forêt amazonienne et dotée d’une économie mixte faite de chasse, de cueillette et d’agriculture de subsistance, fournit des éléments intéressants sur la santé cardiaque. Les maladies cardiovasculaires ont été étudiées en profondeur chez les Tsimane pendant plus de deux décennies. Malgré des niveaux relativement élevés de protéine C-réactive, un marqueur d’inflammation associé à un risque accru de maladie cardiovasculaire, les adultes Tsimane présentent des taux très faibles d’hypertension avec l’âge et presque aucun signe de maladie artérielle périphérique, même chez les individus de plus de 60 ans. En effet, les Tsimane présentent la plus faible prévalence de maladie coronarienne jamais rapportée, une donnée évaluée par le calcium des artères coronaires. On dispose de moins de mesures cardiovasculaires pour d’autres sociétés de petite taille, mais comme chez les Tsimane, beaucoup d’entre elles montrent une augmentation faible ou nulle de la pression artérielle avec l’âge et une faible prévalence de l’hypertension. La santé cardiaque de ces populations est cohérente avec leurs niveaux élevés d’activité physique quotidienne et leurs taux de cholestérol et de triglycérides sériques.
Autres maladies non transmissibles
D’autres « maladies de civilisation » ont reçu relativement peu d’attention dans les études sur la santé des chasseurs-cueilleurs et des agriculteurs de subsistance. Un petit nombre de décès par cancer a été signalé dans des sociétés de taille modeste étudiées rigoureusement, avec de grands échantillons, en particulier chez les personnes âgées. Mais les cancers sont souvent difficiles à détecter sans dépistage médical moderne, et la prévalence du cancer est donc largement inconnue.
[Remarque : une chose est certaine à ce sujet, l’épidémie de cancers explose dans tous les pays en voie d’industrialisation ainsi que dans les pays déjà industrialisés[14], avec de plus en plus d’enfants touchés[15]. Ajoutons également que la biosphère étant aujourd’hui presque entièrement contaminée par d’innombrables substances chimiques industrielles (exemple : le PFOA de 3M et DuPont que les scientifiques détectent dans le corps de la quasi-totalité des populations française et états-unienne, ainsi que chez de nombreuses espèces d’animaux sauvages[16]), il est fort probable que même les populations humains les plus isolées ingèrent quotidiennement les poisons produits en masse par l’industrie chimique.]
Activité physique et dépense énergétique
Activité physique quotidienne
Les chasseurs-cueilleurs et les agriculteurs de subsistance montrent des niveaux élevés d’activité physique tout au long de leur vie. La plupart des recherches écologiques menées auprès de ces populations ont mesuré l’activité par le biais de budgets-temps ou de distances parcourues. Pour deux populations de chasseurs-cueilleurs, les San d’Afrique australe et les Ache du Paraguay, Leonard et Robertson ont compté environ 6 à 9 heures de marche quotidienne ainsi que d’autres activités physiques. Les adultes de la communauté Amish du vieil ordre étudiée par Bassett et ses collègues ont déclaré pratiquer environ 8 heures par jour d’activité modérée à vigoureuse, y compris la marche. Au cours d’un examen approfondi de l’écologie des chasseurs-cueilleurs, Marlow note que les femmes marchent en moyenne 9,5 km/jour et les hommes 14,1 km/jour dans ces populations. Nous avons rapporté des distances de marche quotidiennes similaires pour les adultes Hadza (environ 6,2 km/jour pour les femmes et 12,2 km/jour pour les hommes) et constaté une diminution faible mais détectable (0,4 km/jour par décennie) avec l’âge.
L’avènement de l’accélérométrie et de la surveillance de la fréquence cardiaque a permis de mieux comprendre les niveaux d’activité et d’améliorer les comparaisons entre les populations. Les évaluations basées sur l’accélérométrie chez les Tsimane et d’autres sociétés de petite échelle indiquent des niveaux élevés d’activité physique d’intensité faible et modérée. Nos mesures de la fréquence cardiaque des adultes Hadza indiquent des niveaux remarquablement élevés d’activité physique quotidienne, là encore principalement à des intensités faibles et modérées. Les adultes Hadza accumulent plus de 135 min d’activité physique modérée et vigoureuse (APMV) par jour, soit un niveau plusieurs fois supérieur aux adultes des États-Unis et d’Europe. L’APMV mesurée objectivement chez les hommes et les femmes Hadza reste élevée tout au long de leur vie, sans déclin apparent lié à l’âge.
Ces niveaux élevés d’activité physique ne sont pas compensés par une augmentation du temps de repos, du moins tel que mesuré par les habitudes de sommeil. Malgré l’absence d’électricité et de lumière artificielle, les Hadza, Tsimane, San et d’autres groupes de chasseurs-cueilleurs et d’agriculteurs de subsistance dorment autant (entre 5,9 et 7,1 heures par nuit) que les adultes des populations industrialisées.
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Les archives fossiles et archéologiques suggèrent que des niveaux élevés d’activité physique prévalent depuis longtemps au sein de la lignée humaine. Le niveau d’activité physique a évolué durant environ deux millions d’années avec le genre Homo et l’émergence du mode de vie de chasseur-cueilleur. L’augmentation de l’activité physique aurait joué un rôle essentiel dans l’évolution vers des cerveaux plus gros influençant à son tour notre histoire et notre régime alimentaire. En effet, les humains possèdent des capacités d’endurance exceptionnelles par rapport à d’autres primates ; la chasse à l’épuisement est une stratégie de subsistance documentée chez certains groupes de chasseurs-cueilleurs, une pratique peut-être plus courante à des époques antérieures. Cependant, chasseurs-cueilleurs et agriculteurs de subsistance contemporains courent rarement, ainsi que l’indiquent l’accélérométrie et les enregistrements GPS. Si la course d’endurance a pu être une stratégie de chasse récurrente parmi les populations de chasseurs-cueilleurs d’autrefois, sa fréquence a probablement beaucoup varié en fonction de l’écologie et des modes de vie locaux.
Dépense énergétique quotidienne
Il est remarquable qu’en dépit de niveaux élevés d’activité physique, les dépenses énergétiques totales ne soient pas nécessairement plus élevées dans les sociétés de petite taille que dans les populations industrialisées. Cette similitude métabolique a été constatée pour la première fois au cours d’une comparaison entre des femmes de milieux ruraux au Nigéria (dont beaucoup sont des agricultrices physiquement actives) et des femmes afro-américaines aux États-Unis. Même la dépense énergétique liée à l’activité, c’est-à-dire la partie de la dépense énergétique totale (DET) non attribuable aux fonctions métaboliques de base ou à la dépense énergétique lors de la digestion, s’est avérée similaire entre ces groupes malgré des différences évidentes dans l’activité physique quotidienne.
Nos propres études sur les adultes Hadza ont montré que la DET chez ces chasseurs-cueilleurs traditionnels est similaire à celle des adultes aux États-Unis, en Europe et dans d’autres populations industrialisées. Depuis ces premières études, nous avons élargi l’échantillon pour mesurer la DET durant d’autres saisons, années et dans d’autres campements.
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En particulier, le modèle de variation de l’activité physique quotidienne mesurée par accélérométrie ne se reflète pas dans la DET au sein des populations.
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La similitude entre la dépense énergétique totale (DET), la dépense énergétique par activité (DEA) et le niveau journalier d’activité physique (NAP) suggère que le corps s’adapte aux variations de l’activité physique pour maintenir la DET dans une fourchette physiologique étroite. Cette hypothèse de « DET contrainte » est cohérente avec d’autres études montrant qu’il n’y a pas de correspondance entre les niveaux d’activité et la DET, la DEA et la NAP parmi les populations humaines. De la même manière, des études ont montré que la DET était également similaire chez les populations de mammifères captifs et sauvages, et que l’effet d’une activité accrue sur la DET était limité ou inexistant dans les études de laboratoire sur les oiseaux et les rongeurs. Le mode de vie et l’activité physique quotidienne pourraient n’avoir que très peu d’impact sur la DET, la DEA et la NAP, ce qui a d’importantes implications pour la recherche sur l’obésité. En ce qui concerne les perspectives évolutives en matière de santé publique, les résultats obtenus chez les Hadza montrent que notre passé de chasseurs-cueilleurs n’était pas nécessairement marqué par des dépenses énergétiques plus élevées qu’aujourd’hui, même si (comme c’était certainement le cas) nos ancêtres étaient beaucoup plus actifs physiquement.
Alimentation
La diversité alimentaire parmi les chasseurs-cueilleurs est si vaste qu’il est difficile de trouver des régimes universels. Tous les groupes humains cuisinent leurs aliments et semblent l’avoir fait depuis au moins 250 000 ans environ, et probablement depuis bien plus longtemps. Presque toutes les populations de chasseurs-cueilleurs d’aujourd’hui et du passé récent adoptent un régime alimentaire composé à la fois de viande et d’aliments végétaux. Sur les 265 populations recensées par Murdock, une seule ne se nourrissait ni de poisson ni de gibier. Au-delà de ces grandes lignes, la diversité alimentaire est la règle. Dans le monde entier, le régime alimentaire humain est dicté par la géographie et l’écologie locales.
Il a été suggéré que les régimes modernes et transformés sont plus denses en énergie que ceux de notre histoire paléolithique. Les mesures disponibles de la densité énergétique alimentaire parmi les populations vivantes et récentes de chasseurs-cueilleurs n’apportent qu’un soutien limité à cette opinion.
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Eaton, Cordain et leurs collègues ont largement modélisé les profils nutritionnels des régimes paléolithiques dans plusieurs études approfondies au cours des trois dernières décennies. Ces analyses s’appuient largement sur l’Ethnographic Atlas de Murdock – un recueil d’informations ethnographiques concernant des centaines de sociétés non étatiques (chasseurs-cueilleurs et autres) – pour collecter des informations sur la composition du régime alimentaire de chaque population (part provenant des animaux, des plantes, etc.). Entre autres résultats, ces études ont fait valoir que la plupart des groupes de chasseurs-cueilleurs obtiennent au moins 50% de leurs calories de la viande. D’autre part, les régimes modernes à forte teneur en amidon et en sucre sont composés d’une proportion beaucoup plus élevée de glucides et d’une proportion plus faible de protéines que les régimes traditionnels d’autrefois. Ces analyses sont devenues le fondement du mouvement Palaeodiet (« régime paléo ») qui préconise (entre autres ajustements du mode de vie) un régime riche en graisses et en protéines, ainsi que l’abandon des céréales et des sucres pour se protéger des maladies cardiovasculaires et métaboliques.
Ces études diététiques reposent chez Murdock sur des approximations grossières et des méthodologies souvent opaques pour mesurer l’apport alimentaire. Elles reposent également sur d’autres estimations de la teneur en macronutriments des végétaux et de la viande qui sont difficiles à concilier avec les études ethnographiques et nutritionnelles plus détaillées des régimes des chasseurs-cueilleurs. Premièrement, les données de Murdock ne comprennent pas d’informations sur la consommation de miel. Cette omission est importante, car le miel représente une part substantielle du régime alimentaire de nombreux groupes de chasseurs-cueilleurs. Chez les Hadza par exemple, Marlowe et ses collègues ont estimé que le miel représente environ 15% de l’apport énergétique, avec une fourchette mensuelle située entre 1% et 50%. Même ces valeurs reposant seulement sur des mesures des quantités rapportées au camp sous-estiment probablement la consommation de miel. Nos observations détaillées ont montré que les hommes consomment des quantités substantielles de miel en dehors du camp pendant la collecte de nourriture, ce qui nous amène à estimer que 16 à 20 % du régime alimentaire annuel des Hadza provient du miel et des larves d’abeilles. Deuxièmement, de nombreuses sociétés de taille modeste bien étudiées tirent bien moins de 50 % de leurs calories du poisson et du gibier. Par exemple, Kaplan et ses collègues ont estimé la proportion de calories provenant du gibier et d’autres aliments pour huit populations de chasseurs-cueilleurs. La moitié de ces populations (4/8) tirent moins de 50 % de leurs calories du gibier. En effet, les données de Murdock suggèrent que les populations situées en dessous d’une latitude de 45° (nord ou sud) adoptent des régimes alimentaires très variés, la plupart d’entre elles consommant des proportions à peu près égales de végétaux et d’animaux. Troisièmement, pour de nombreuses sociétés de ce type les proportions de macronutriments utilisées comme modèles dans le domaine de la santé publique, notamment celles observées chez les Hadza et les Tsimane, sont beaucoup plus riches en glucides que ce que recommandent les partisans du régime paléo. En nous basant sur les analyses alimentaires décrites précédemment, nous avons estimé le quotient alimentaire à 0,92 chez les Hadza, soit un régime plus riche en glucides que le régime alimentaire moyen aux États-Unis. […] Les Tsimane ont également un quotient alimentaire supérieur à 0,90, et il en va probablement de même pour la plupart des sociétés autonomes qui dépendent d’aliments de base riches en glucides (par exemple les tubercules, le manioc, les bananes plantains et le riz). Les régimes à forte teneur en viande et à faible teneur en glucides ont peut-être été la norme pour certaines populations de chasseurs-cueilleurs dans le passé. Mais de nombreuses sociétés traditionnelles, y compris celles qui présentent une excellente santé métabolique et cardiovasculaire, ont une alimentation relativement riche en glucides et en sucres simples (miel).
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Si la teneur en macronutriments des régimes des chasseurs-cueilleurs peut faire l’objet de débats, il semble clair qu’ils sont riches en micronutriments et probablement plus sains que les régimes des populations industrialisées. Les aliments issus de végétaux sauvages ont généralement un indice glycémique inférieur à celui des aliments transformés et contiennent très peu de sel. Les régimes des chasseurs-cueilleurs contiennent également une plus grande proportion de fibres alimentaires que les régimes modernes typiques.
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Enfin, on pense que les régimes alimentaires des chasseurs-cueilleurs sont basiques, contrairement aux aliments acides courants dans les régimes occidentaux.
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Les régimes alimentaires des sociétés de petite échelle sont généralement associés à des profils sanguins favorables.
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Les archives fossiles et archéologiques montrent que le régime alimentaire des homininés est diversifié et s’adapte [en fonction du contexte environnemental] depuis le Paléolithique inférieur. Des outils en pierre et des traces de dépeçage préservées sur des fossiles d’animaux indiquent que la viande a été une composante importante du régime alimentaire des homininés pendant plus de 2 millions d’années. La flexibilité du régime alimentaire est évidente pour rendre possible les expansions successives des homininés à travers l’Afrique et en Eurasie, un processus démarré avec Homo erectus il y a environ 1,8 million d’années qui a permis d’occuper une importante diversité de milieux et de climats. Des découvertes plus récentes ont souligné l’importance des aliments végétaux dans le régime alimentaire du Paléolithique. Les microfossiles piégés dans le tartre dentaire et les surfaces des outils en pierre des Néandertaliens et des humains du Paléolithique montrent qu’ils mangeaient des céréales cuites et transformées provenant de graminées sauvages, des racines contenant de l’amidon, ainsi que d’autres végétaux et du gibier. Le large éventail d’aliments et de profils de macronutriments que l’on retrouve chez les chasseurs-cueilleurs contemporains et du passé récent raconte l’histoire profonde de la diversité alimentaire des homininés.
Conclusion
La remarquable santé métabolique et cardiovasculaire des sociétés traditionnelles [chasseurs-cueilleurs-horticulteurs, pasteurs nomades, etc.] en fait depuis longtemps des modèles intéressants pour la santé publique. Compte tenu de la similitude des profils sanitaires entre les groupes ethniques, il est clair que c’est l’environnement – non la génétique – qui maintient les populations des sociétés de taille modeste en si bonne santé. En effet, de l’Australie aux Amériques, ces populations développent les mêmes « maladies de civilisation » métaboliques et cardiovasculaires lorsqu’elles abandonnent leurs modes de vie traditionnels et adoptent des régimes alimentaires et des niveaux d’activité physique de style occidental. Mais la diversité des modes de vie et des régimes alimentaires traditionnels fait qu’il est difficile de tirer des leçons simples à appliquer aux populations industrialisées. Les chasseurs-cueilleurs contemporains et les populations industrialisées diffèrent sur de nombreux plans – histoire culturelle, géographie du milieu ou encore présence d’un État fournissant des services d’éducation, de soins de santé, etc. [rappelons ici que le développement conjoint de l’État et de l’industrie en Occident a anéanti les communautés paysannes traditionnelles et autonomes qui étaient courantes avant l’ère moderne, et qui présentaient certainement de nombreuses caractéristiques similaires aux sociétés non étatiques décrites dans cet article, NdT]. L’espérance de vie à la naissance des chasseurs-cueilleurs est inférieure à celle mesurée dans n’importe quelle enquête nationale sur la santé, mais les chasseurs-cueilleurs montrent également des taux d’obésité et de diabète extrêmement bas, et des niveaux d’activité physique élevés.
Un élément commun aux modes de vie traditionnels semble clairement protéger contre les maladies non transmissibles : un niveau élevé d’activité physique au quotidien. Le niveau journalier d’activité physique des chasseurs-cueilleurs et des agriculteurs de subsistance est plusieurs fois supérieur à celui des habitants dans les pays développés. Les avantages de l’exercice physique pour la santé sont bien établis et l’augmentation de l’activité quotidienne fait déjà partie des objectifs des politiques de santé publique dans le monde entier. Les mesures du volume et de l’intensité de l’activité quotidienne dans les sociétés traditionnelles pourraient aider à orienter ces efforts. Les Centres états-uniens de contrôle des maladies recommandent par exemple au moins 150 min/semaine d’activité physique modérée à intensive, un objectif atteint par moins de 10% des adultes aux États-Unis. Les données recueillies auprès de sociétés non étatiques suggèrent que même cet objectif (150 min/semaine) est trop modeste – il se peut que les niveaux optimaux d’activité physique soient beaucoup plus élevés que ce chiffre. Cependant, les données des sociétés de petite échelle montrent également une forte proportion d’activités de faible intensité et d’intensité modérée, qui peuvent être plus facilement intégrables dans les stratégies de santé publique que les exercices d’intensité plus élevée.
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La constance de la dépense énergétique totale au sein d’une gamme variée de modes de vie, y compris chez les chasseurs-cueilleurs contemporains et d’autres sociétés à échelle modeste, suggère fortement que la pandémie moderne d’obésité provient d’un apport énergétique trop important plutôt que d’une diminution de la dépense énergétique. Mais à part la réduction de la consommation de calories, il est difficile de savoir quels aspects des régimes traditionnels il faudrait imiter pour améliorer la santé. L’idée qu’il existerait un unique régime alimentaire véritable et naturel, auquel nous pourrions tous aspirer, est démentie par l’incroyable variété des régimes des chasseurs-cueilleurs recensés par les premiers ethnographes et les chercheurs d’aujourd’hui. Plus précisément, l’idée selon laquelle les cultures paléolithiques adoptaient invariablement un régime pauvre en glucides est fortement contestée par les évaluations détaillées des archives fossiles et des régimes alimentaires des groupes contemporains. Les régimes traditionnels semblent être plus denses en nutriments, plus riches en fibres et plus faibles en indice glycémique que les aliments des cultures industrialisées. De nombreux aliments modernes transformés sont également conçus pour optimiser le goût et stimuler la consommation, de plus l’association des graisses et des glucides dans les aliments industriels peut encourager la surconsommation. Ces aspects de l’alimentation et les interactions entre l’alimentation et l’activité physique méritent une plus grande attention.
Enfin, il convient de s’interroger sur les autres aspects du mode de vie traditionnel qui, outre l’alimentation et l’activité physique, pourraient contribuer à la santé remarquable des chasseurs-cueilleurs. Des amitiés et des liens familiaux étroits, de faibles niveaux d’inégalités sociales et économiques, ainsi qu’une vie majoritairement passée en extérieur figurent parmi les caractéristiques typiques des populations de chasseurs-cueilleurs et d’autres sociétés traditionnelles. Dans les sociétés modernes, l’absence de ces éléments est associée à un stress social chronique et à une série de maladies non transmissibles, notamment les pathologies métaboliques et l’obésité. Pour comprendre les racines évolutives des maladies modernes, nous devrions nous efforcer d’acquérir une compréhension plus intégrative et holistique du mode de vie et de la santé chez les chasseurs-cueilleurs contemporains, et de notre histoire collective.
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